Petite introduction :
Je tiens à préciser que dans cet article je n'y vais pas de main morte sur le fonctionnement de la clinique psychiatrique où je travaillais ainsi que sur le comportement de certains
collègues. Cela neconcerne que ma propre expérience et je ne fais pas de généralité. De plus, compte-tenu de l'objet de l'article, j'utilise beaucoup l'ironie pour dédramatiser les choses, mon
but n'étant pas de faire pleurer dans les chaumières mais de mettre la lumière sur ce qu'il pourrait arriver à tout le monde.
Bonne lecture !
Monsieur Idouapartir est un patient de la clinique psychiatrique. Depuis maintenant deux ans, il est hospitalisé
pour une grave dépression survenue à la suite d'une rupture sentimentale. Cela ne fait « que » deux ans qu'il est dans les locaux et déjà, on peut dire qu'il fait partie des
meubles.
Il est connu de tous les patients, surtout des patientes d'ailleurs. Dans son fidèle apparat, tong/short/chemise
hawaïenne, il ère dans les couloirs de la clinique. Il ressemble à un touriste du Club Med qui tente de « conclure ». Et contrairement à Jean-Claude Dusse, il s'avère que pour lui ça
fonctionne ! Comme quoi, entre service psychiatrique et agence matrimoniale, il n'y a qu'un pas.
Autant dire que ce monsieur se sent bien à la clinique. A tel point, qu'il a décidé après deux mois
d'hospitalisation de rendre son logement. Pourquoi payer un loyer alors qu'il n'y vit pas ?
Il y est chez lui. Un chez lui « gratuit », qui commence à déranger le psychiatre en charge de son
suivi.
Un matin, comme à mon habitude, je relève le courrier dans mon casier. Ne travaillant qu'à mi-temps pour cent
patients, mon casier souffre du syndrome des tupperwares. Vous savez, (je suis sure que ça n'arrive pas qu'à moi) lorsqu'on ouvre le placard pour prendre un tupperware et que la magnifique
montagne de boîtes, très étudiée pour ne pas tomber, s'écroule littéralement sur votre nez... Et bien, c'est qu'il se passe avec les courriers dans mon casier. Donc, comme tous les deux jours, je
me prends la masse de courriers sur le nez. Et c'est en ramassant la dizaine de lettres au sol, que je tombe sur un morceau d'article de journal, plus précisément de la page des petites annonces,
avec écrit au stylo dessus :
« Concernant la chambre n°123, doit partir. Pas de CMU, pas de mutuelle, plus malade mais
encore dans le service. Lui trouver un logement ce mois-ci »
Le genre de petit mot que j'adore. Analysons son contenu :
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Pas de signature, mais au regard de l'écriture, ça doit être un médecin.
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« La chambre 123 »... Hmm hmm, un médecin qui ne connaît pas le nom du patient.
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« Plus malade mais encore dans le service »... Parce que c'est à moi de décider quel patient peut
sortir ou pas ? Il s'agit d'un médecin qui ne connaît pas son boulot.
-
« Lui trouver un logement ce mois-ci »... Et c'est un médecin qui ne connaît pas la difficulté de
trouver un logement quand on a ni emploi, ni ressource !
L'auteur de ce mot doux identifié, je m'en vais à sa rencontre.
Le docteur Jesuibiento- Alaretraite, est, comme son nom l'indique en fin de carrière. Il s'agit du type d'homme qui
a le don d'agacer (en tout cas, moi ça m'agace) : très sur de lui, séducteur, qui n'a pas besoin d'écouter les patients pour deviner ce qu'ils ont, qui vous fait des transmissions sur des bouts
de cartons à pizza ou d'articles de journaux, et qui facture des consultations aux patients en permission de sortie (donc à des patients qu'il n'a pas vu)
Ce médecin m'explique alors qu'il juge l'état de santé de monsieur Idouapartir stable depuis un long moment et qu'il
serait temps qu'il quitte la clinique. D'autant plus que ce monsieur est « logé, nourri, blanchi aux frais de la princesse depuis des mois » puisque le forfait hospitalier n'est payé
par personne. Et qu'il s'agit là d'un patient « non rentable pour la clinique ».
Le décor est posé.
Le jour même, je m’attelle à la tâche. Durant plusieurs mois, je recherche activement une solution de sortie pour ce
monsieur : j'épluche les petites annonces, je dépose des demandes de logement chez tous les bailleurs sociaux du territoire, je contacte les CHRS et les résidences sociales.
Et cela porte ses fruits :
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2 propositions de logement en HLM : monsieur les a refusées, il voulait absolument un balcon !
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1 place en résidence sociale : refusée par monsieur qui n'avait pas envie de se retrouver « avec des
cas-soc »
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1 place en CHRS (foyer d'urgence) : je vous laisse deviner sa réponse...
Après toutes ces mises en échec, je perds patience. J'explique à ce monsieur qu'il ne trouvera pas tout de suite le
logement de ses rêves, que sa facture à la clinique augmente chaque jour, qu'il est en surendettement et que pour éviter d’aggraver sa situation, il serait préférable qu'il accepte cette place en
CHRS qui est ma dernière carte.
Il refuse.
Je suis fatiguée. Mes congés approchent.
Avant de partir en congés, j'explique mes démarches et ces refus au docteur Jesuibiento-Alaretraite. Il suggère que
nous mettions une date ultimatum à monsieur Idouapartir, pour le secouer. Le docteur va se charger de lui annoncer la date butoir, dans deux mois, à laquelle monsieur devra quitter la
clinique.
Petite aparté : Avec le recul j'ai honte d'avoir cautionné cette histoire d'ultimatum sans même avoir pris le
temps de chercher à comprendre pourquoi monsieur Idouapartir mettait systématiquement en échec les solutions de sortie que je lui proposais... Les joies des débuts !
Après trois semaines d'absence, me voici de retour à la clinique, les joues rosées par le soleil des vacances, la
bonne humeur due au repos. Je vide mon casier... Enfin, il se vide sur moi. Je découvre un nouveau petit mot mystérieux :
« Monsieur Idouapartir doit te voir absolument aujourd'hui. Il sort cet après-midi »
Il sort ? Trois semaines après l'annonce de l'ultimatum ? Il a trouvé un lieu où loger, bonne
nouvelle !
Justement, monsieur Idouapartir m'attend dans la salle d'attente. Il veut me voir tout de suite. Il est
souriant.
Je l'invite à s'installer dans mon bureau, je suis contente pour lui, sincèrement. Je commence la
conversation :
Monsieur souri.
Se met debout.
Il prend sa respiration.
Je ne comprends pas ce qu'il se passe.
Il se met alors à hurler, m'insulte. Je tente d'apaiser les choses en lui expliquant que je ne comprends pas ce
qu'il veut dire et lui demande de se rasseoir.
Toujours debout, il lève les bras au ciel.
Devient rouge, la colère monte.
Abaisse ses poings sur mon bureau, en frappant si fort que mon bureau s'écroule sous la force du coup.
Mes mains tremblent.
Je regarde autour de moi : je suis assise sur mon siège de bureau, contre le mur, avec un bureau effondré à mes
pieds. La porte d'entrée se trouve derrière monsieur. Ma fenêtre est à sa gauche, inaccessible.
Je sens ce qu'il va se passer. Je vais mourir.
Tout se passe très vite, la scène me semble durer une éternité.
Il attrape chaque élément de mon ordinateur, les lance contre le mur.
Il hurle, pousse des cris effrayant.
Mon téléphone subi le même sort.
Il prend mes dossiers, les vide par terre.
Tout vole autour de moi, je suis incapable de bouger, je le regarde s'agiter, impuissante, contrainte d'attendre que
cela se termine.
Il prend alors un morceau de mon bureau et me frappe avec au visage. Mon oreille droite siffle. J'ai mal à la tête.
Je suis toujours assise sur mon siège de bureau...
Il quitte mon bureau. Enfin c'est terminé.
« Je vais la quitter ta clinique, je suis à la rue à cause de toi. Je dors où moi ? Je connais ta voiture,
je t'attendrai sur le parking il n'est pas filmé »
La porte se ferme. Je suis seule au milieu de tout ça. Je tremble. Les larmes coulent toutes seules sans que je ne
réagisse.
Pas de collègue. Personne n'est venu m'aider. Je ne peux plus bouger. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, ce que
j'ai fait. J'ai horriblement mal à la tête,je m’assois par terre.
Soudainement, la secrétaire entre dans le bureau et m'hurle : « Qu'est-ce que tu fous, ça fait vingt
minutes que j'essaie de t’appeler, ton rendez-vous t'attend ! »
Elle découvre alors les dégats, me voit assise par terre et va chercher de l'aide.
Les choses vont ensuite très vite, je ne réalise pas ce qu'il vient de se passer :
-
La police est venue chercher monsieur Idouapartir à la clinique
-
On m'a conduite à l'hôpital pour me soigner et faire constater le coup
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Je n'ai pas voulu porter plainte contre monsieur Idouapartir.* Ma chef l'a donc fait en son nom à ma place. Je
n'ai pas voulu rester à l'hôpital.
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Devant le manque de solidarité et d'aide des collègues, devant le manque de sécurité que je ressentais désormais
au boulot, j'ai exercé mon droit de retrait et le délégué syndical a réclamé un bureau moins isolé. Ce qui n'a pas plu du tout à ma chef qui banalisait la situation « ce sont les aléas
du métier » disait-elle. J'ai obtenu un bureau moins isolé mais en contre partie, je devais justifier heure par heure de mon emploi du temps et faire la manche pour avoir un stylo,
un nouvel ordinateur et un nouveau téléphone !
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J'ai eu mal à la tête durant quelques jours, un bel hématome sur la joue, une belle frayeur mais rien de
grave.
Cet événement, ajouté à la mauvaise ambiance générale dans la clinique et au 90 km qui me séparaient de ce boulot,
m'ont conduit à démissionner quelques mois après, le temps pour moi de trouver un nouvel emploi.
Il m'a fallu quelques semaines pour ne plus avoir peur d'aller travailler dans cette clinique. Systématiquement une
collègue m'accompagnait sur le parking car je craignais les représailles annoncées.
Après cet événement, j'ai appris à aménager mon bureau pour pouvoir sortir rapidement en cas de nouvelle
agression et je songe à prendre des cours d'escalade pour le cas où, mon futur bureau se trouverait à l'étage !
* Après l'agression, j'ai enfin pu savoir ce qui avait conduit monsieur a réagir ainsi (préparez-vous au coup
de grâce) : le docteur Jesuisbiento-Alaretraite était allé le voir dans sa chambre la veille pour lui annoncer l'ultimatum dont nous avions convenu... Ou presque. Puisqu'en réalité, il a
annoncé que monsieur était exclu de la clinique dès le lendemain, et ce, à ma demande !
Aaaaah que de pouvoir elles ont ces assistantes sociales !